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Anne Henriette Adélaïde, dit Adèle, TORNÉZY, épouse VARILLAT Fontaine-Française, 1769 - Paris, 1861
"Portrait de femme", dit Autoportrait de l'artiste à l'âge de 26 ans
Estimation :
100 000 - 150 000 €

Description complète

"Portrait de femme", dit Autoportrait de l'artiste à l'âge de 26 ans
Huile sur toile

Signée et datée 'Adèle Tornézy / Lan 3eme r’ en bas à droite

(Restaurations)


"Portrait de femme", called Self-portrait of the artist aged 26, oil on canvas, signed and dated, by A. H. A. Tornézy

59.44 x 43.89 in.

151 cm x 111.5 cm
Provenance :

Collection du frère de l'artiste, Jacques Philippe Guillaume Tornézy (1773-1847) ;

A son fils Adolphe Léon Tornézy (1802-1878) ;

A sa fille Marie Philippine Elodie Tornézy (1834-1896), épouse de Gustave Droz ;

A leur fils Paul Droz (1861-1918) ;

A leur fils Pierre Droz (1892-1966) ;

Puis par succession à sa fille ;

Puis par succession aux actuels propriétaires ;

Collection particulière du Centre de la France

Expositions :

Salon de 1795, n° 493 ("Portrait de femme. 5 pieds 8 pouces de haut, sur 4 pieds 4 p. de large")

Bibliographie :

Probablement Albertine Clément-Hémery, Souvenirs de 1793-1794, Cambrai, 1832, p. 46 (il pourrait s'agir du portrait de mademoiselle Gro... qui posait pour elle trois mois avant l'ouverture du Salon : "Ton aimable amie, mademoiselle Gro..., a posé aujourd'hui pour moi, et continuera pendant quelques jours à avoir cette complaisance")

Carole Blumenfeld, Adèle de Romance, dite Romany 1769-1846, cat. exp., Grasse, Musée Fragonard, 2025, p. 67

Carole Blumenfeld, « L’exquise Adèle Tornézy s’invite chez Artcurial », L’Objet d’Art, septembre 2025, p. 72



Commentaire :

Anne-Adélaïde-Henriette Tornézy dite Adèle est née à Fontaine-Française, en Côte d’Or, en 1769. Elle est issue d’une famille bourgeoise : son père, Jean Baptiste Marie Joseph de Tornézy était avocat au parlement et propriétaire de la charge de receveur des tailles à Besançon1. Elle adopte le nom de Varillat à la suite de son mariage avec Claude-Joseph Varillat le 6 novembre 1797 (douze brumaire de l’an 6). Ce dernier, négociant en vins, était établi rue Jean-Jacques Rousseau à Paris, tout près du Louvre. Tous deux eurent au moins trois enfants : Nicolas Claude Henri, Alfred Jean Baptiste et Alexandre Louis2. L’inventaire après décès de Claude-Joseph Varillat dressé le 9 mai 1807 nous renseigne sur l’activité artistique d’Adèle qui avait son atelier au quatrième étage de l’appartement de la rue Jean-Jacques Rousseau. Y est décrit son matériel de peinture : une boîte à couleurs, deux chevalets, un lot de modèles en plâtre et deux palettes. Plusieurs portraits individuels et de famille sont décrits parmi les biens se trouvant dans l’appartement.

Comme d’autres de ses consœurs peintres, Adèle Tornézy tire parti de l’organisation de salons libres lors de la période troublée des années 1790. Comme le précise Séverine Sofio, dans son ouvrage sur les femmes artistes actives à cette époque : « on peut dire que la Révolution les a fait « apparaître »4. Elle expose ainsi au Salon en 1795 puis en 1798, 1806 et 1833, essentiellement des portraits sauf en 1806 où elle présente Une mère satisfaite. Rares sont les œuvres d’Adèle Tornézy qui nous sont parvenues. Le Portrait de Jeanne Marie Thérèse Cabarrus, madame Tallien, peint en 1797, constitue l’une des rares œuvres de cette artiste en collection publique (Abbeville, musée Boucher de Perthes). Après le décès de son époux qui survient en mai 1807, la trace de notre peintre se perd. Dans les années 1810, elle s’établit à Londres et expose à la Royal Academy. Les livrets des expositions annuelles font mention de portraits peints par « Madame Varillat » en 1817, 1818, 1819 et 1820. Le portrait du duc d’Orléans enfant, signé, localisé et daté ‘Varillat / London. L. 1817’ est un des seuls témoignages de ce séjour londonien5. Elle meurt à l’âge de quatre-vingt-douze ans en 1861 au 99, rue de Chaillot, à l’institution de Sainte-Périne.


Adèle Tornézy et la formation des femmes artistes durant la période révolutionnaire

Adèle Tornezy fréquente l’atelier de Guillaume Guillon-Lethière (1760-1832) et de Jean-Baptiste Regnault (1754-1829) qui reçoivent tous deux de nombreuses femmes et jeunes filles aspirant à apprendre à peindre6. Alors que Paris s’embrase sous le feu de la Révolution et que la Convention nationale suspend l’Académie royale, Guillon-Lethière ouvre son premier atelier privé en 1793 au 9 rue Childebert, un immeuble appelé familièrement La Childebert, situé derrière Saint-Germain-des-Prés. Ce système d’ateliers privés qui existaient en parallèle de la formation dispensée par l’Académie était réservé aux familles bourgeoises suffisamment aisées pour financer ce tutorat. Bien que n’étant pas issue d’une famille d’artistes, Adèle dut recevoir le soutien de son père. En tant que peintre créole – il était le fils d’un colon et d’une haïtienne – Guillon-Lethière entretenait des liens privilégiés avec des familles liées de près ou de loin avec les colonies françaises des Antilles. Or, dans la famille d’Adèle, sa tante, Eugénie, venait de Saint-Domingue et son père était propriétaire de plantations à Croix-de-Bouquets7.

Elle entre peu de temps avant la réalisation de notre tableau, vers 1793, dans l’atelier du peintre Jean-Baptiste Regnault et c’est lors de sa formation auprès de cet artiste néo-classique qu’elle peint notre toile. Son passage dans l’atelier de Regnault est bien documenté par les Souvenirs de 1793 et 1794 publiés par Albertine Clément-Hémery qui offre dans son récit une description précise de son mode de fonctionnement et des relations qu’entretiennent les femmes peintres8. Si elle évoque tour à tour chaque peintre, Adèle Tornézy se distingue : elle était « l’idole de monsieur et madame Regnault »9.


La mode à l’antique : Tornézy, une pionnière ?

Albertine Clément-Hémery insiste sur le prétendu rôle joué par Adèle Tornézy dans le renouveau de la vogue à l’antique : « Tornezy, l’aimable Tornezy, modèle de goût et d’élégance, avait créé ou plutôt renouvelé les modes attrayantes de la terre classique où vécurent Aspasie et Alcibiade. C’est de notre atelier que les vêtements grecs sortirent pour remplacer les informes corsages dits à la Coblentz »10. Tornézy est, selon Albertine Clément-Hémery, l’instigatrice de cette nouvelle mode : « Le décadi suivant, les Tuileries, les Champs-Elisées étaient remplis de femmes bariolées de ceintures, de bandelettes, de cothurnes grecs. Tornezy triompha : son passementier lui dût la fortune »11. Sur notre tableau, le modèle porte les mêmes souliers aux bandeaux bleus que ceux du modèle du tableau du musée des Beaux-Arts de Rouen, attribué à Adèle de Romance, que l’on date des années 1798-1900 (fig. 1). Ce tableau, qui présente de nombreuses analogies formelles avec notre toile, pourrait-il rejoindre le corpus d’Adèle Tornézy ? Clément-Hémery décrit en outre une séance de pose qui fait de notre tableau un manifeste vestimentaire. Il y est question de ceintures et de bandelettes de couleur rouge, comme sur notre tableau : « Un jour, Tornezy apporta des ceintures de laine ponceau, des bandelettes de même couleur, elle choisit Vallière, Longueville, Mme Mongez, Latouche et moi, nous attacha les bandelettes et la ceinture semblables à celles dont elle était parée, puis nous engagea à l’accompagner au Muséum, ensuite aux Tuileries, nous hésitâmes, mais qui pouvait résister aux prières de Tornezy »12. Le mobilier est lui aussi empreint de la vogue antique de cette période. Sur notre tableau, la jeune femme est assise sur une chaise à dossier à bandeau, dont les pieds sabre se terminent par des sabots de capridés. Elle s’inspire peut-être de sculptures antiques comme Poséidippos (musée Pio Clementino, Vatican) ou Agrippine assise (Rome, musée du Capitole)13 ou de dessins de Jacques-Louis David (fig. 2)14.


Le tableau du Salon de 1795

Notre toile de grande dimension est, selon toute vraisemblance, le tableau du Salon de 1795 qui est décrit comme « portrait de femme » et dont les dimensions avec le cadre correspondent à notre portrait. L’identité du modèle reste encore entourée de mystères. Les écrits d’Albertine Clément-Hémery nous offrent des pistes de recherche intéressantes. Pourrait-il s’agir d’un portrait d’une autre femme peintre active dans l’atelier de Regnault ? Dans une lettre rédigée par Adèle Tornézy transcrite dans l’ouvrage d’Albertine Clément-Hémery, il est question d’une « Mademoiselle Gro… » qui aurait posé pour elle15, sans que l’on puisse pour l’instant l’identifier. Si grâce aux écrits de Clément-Hémery, nous possédons une description physique d’Adèle Tornézy qui ne semble pas correspondre aux traits du modèle peint (« la svelte Tornezy, à la peau blanche, aux yeux bleus, aux cheveux d’ébène »16), notre toile est considérée comme l’autoportrait de l’artiste par tradition familiale. Un autre portrait représentant le même modèle portant un chapeau agrémenté d’un ruban rouge vient peut-être étayer cette proposition d’identification, d’autant plus qu’une ancienne inscription au verso « Tante Varillat » pourrait elle aussi renforcer cette théorie17. Par ailleurs, il serait sans doute fécond de pouvoir identifier l’homme qui est représenté sur le tableau en cours d’exécution.

Notre tableau est de toute évidence un document historique extrêmement précieux ainsi qu’une importante contribution à l’écriture de l’histoire des femmes artistes à l’époque révolutionnaire. Il est en outre à inscrire dans le corpus des représentations de femmes peintres aux côtés du tableau de Marie Victoire Lemoine du salon de 1796, L’intérieur d’un atelier de femme artiste (New York, The Metropolitan Museum of Art) (fig. 3), de celui de Marie-Guillemine Benoist qui se représente en train de peintre (Karlsruhe, Staatliche Kunstahalle) (fig. 4) ou encore celui de Marie Gabrielle Capet, Autoportrait de l’artiste dans son atelier de 1808 (Munich, Neue Pinakothek).


 

1.     Dijon, Archives départementale de la Côte d’Or, état civil, Fontaine Française, Registres paroissiaux et ou d’état civil, 1756- 1775, fol. 268.

2.     Paris, Archives nationales, MC/XXVIII/637.

3.     Parmi les tableaux, l’on trouve « vingt et un tableaux en mauvais état portraits peints sur toile (…) deux portraits de femmes peintes en pied représentant intérieurs & paysages dans leurs bordures de bois doré, un portrait de moine, un autre représentant un vieillard, un petit paysage peint sur toile, un tableau représentant un homme demi-grandeur (…) deux tableaux de famille représentant l’une Mme Varrillat et l’un de ses fils & l’autre Mr Varillat (…) un tableau représentant une tête d’étude, un autre tableau de paysage et figures non fini, un portrait de femme… ».

4.     Séverine Sofio, Artistes femmes. La parenthèse enchantée XVIIIe-XIXe siècles, Paris, 2023, p. 215.

5.     Vente anonyme ; Paris, Sotheby’s, 30 septembre 2015, n° 176.

6.     Sur l’atelier de Guillon-Lethière, nous renvoyons à Marie-Pierre Salé (dir.) Guillon-Lethière. Né à la Guadeloupe, cat. exp. Paris, musée du Louvre, 2024, p. 120 et 233.

7.     Ibid., p. 75.

8.     Il est possible que Jean-Baptiste Regnault ait pris les traits de certaines de ses élèves femmes pour modèles lorsqu’il peint ses Trois Grâces, tableau aujourd’hui conservé au musée du Louvre (c’est d’ailleurs ce que suggère Adrien Marcel dans L’intermédiaire des chercheurs et des curieux, Paris, 1892, p. 151, n° 572). Certains ont voulu ainsi identifier Mesdemoiselles George et Duchesnois de face ainsi qu’Adèle Tornézy de dos. Peut-être faut-il plutôt voir dans le portrait de la troisième Grâce représentée à droite le portrait d’Adèle Tornézy (voir L’Intermédiaire des chercheurs et des curieux, Paris, 1892, p. 222). Nous renvoyons sur cette question à Henri de Dianous, La Famille Tornézy, Marseille, Henri de Dianous, 2015, p. 93.

9.     Albertine Clément-Hémery, Souvenirs de 1793 et 1794, Cambrai, 1832, p. 5.

10. Ibid., p. 25.

11. Ibid., p. 26.

12.  Ibid., p. 26.

13. Il existe des reprises par des artistes français actifs en Italie comme Luc-François Breton (1731-1800). Nous renvoyons aux œuvres de cet artiste conservées au château de Compiègne.

14. Paris, musée du Louvre, n° RF 54372 et n° RF 9136, 10.

15. Albertine Clément-Hémery, op. cit., p. 46.

16. Ibid., p. 26.

17. Ce tableau se trouvait un temps dans la collection des descendants de Frédéric Tornézy, frère d’Adèle (voir Henri de Dianous, La Famille Tornézy, Marseille, Henri de Dianous, 2015, p. 93).


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