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Guido RENI Bologne, 1575 - 1642
David et Goliath
Estimation :
2 000 000 - 4 000 000 €

Description complète

David et Goliath
Toile

David and Goliath, canvas, by G. Reni

89 ½ x 57 ¼ in.

227 cm x 145.5 cm
Provenance :

Acquis auprès de l'artiste à Bologne par Francesco I d'Este, duc de Modène et de Reggio (1610-1658), par l'intermédiaire de Cornelio Malvasia, en janvier 1633 ;

Collection du prince Eugène, duc de Savoie (1663-1736), dans sa résidence du Belvédère Supérieur à Vienne, répertoriée dans l'inventaire de cette collection en 1736 (la collection est ensuite achetée en bloc par Charles-Emmanuel III de Savoie en 1741 et transférée à Turin) ;

Collection Charles-Emmanuel III de Savoie duc de Savoie et prince de Piémont, au Palazzo Reale à Turin ;

Rapporté d’Italie par le général Pierre-Antoine Dupont de l’Etang (1765-1840), nommé " ministre extraordinaire provisoire du gouvernement français en Piémont" de juin à la mi-août 1800 ;

Collection du général Pierre-Antoine Dupont de l'Etang, probablement placé dans l’hôtel de Beauvau à Paris jusqu’en 1850, date de la vente de l’hôtel Beauvau;

Puis conservé par la famille de ce dernier jusqu'à ce jour ;

Collection particulière, France

Bibliographie :

Charles-Nicolas Cochin, Voyage d'Italie, ou Recueil de Notes Sur les Ouvrages de Peinture & de Sculpture, qu'on voit dans les principales villes d'Italie, Paris, 1758, vol. I, p. 9 : « Un David du Guide, fort beau »

Jérôme de La Lande, Voyage en Italie..., Genève 1786, vol. I, p. 81 (éd. 1790, vol. I, p. 138) : « Un David du Guide, semblable à celui que possède le roi de France. Il faudroit les comparer ensemble pour juger lequel est le plus beau »

Adolfo Venturi, La R. Galleria Estense à Modène, Modène, 1882, p. 185 

Stephen Pepper, Guido Reni. A complete catalogue of his works with an introductory text, Oxford, 1984, version Louvre p. 23, 216-217, mentionné sous le n° 19 B (tableau perdu)

Corentin Dury (sous la dir.), Dans l’atelier de Guido Reni, Orléans, Musée des Beaux-Arts d’Orléans, 2024-2025, p. 148 et 162 (tableau perdu)

Commentaire :

Bien documentée du vivant de l’artiste, cette version de la célèbre composition de Guido Reni, dont un exemplaire est conservé au musée du Louvre (fig. 1), réapparait enfin, après avoir été soustraite aux regards pendant près de deux cent vingt ans. Acquis directement auprès de l’artiste par Francesco d’Este, puis composant les prestigieuses collections du prince Eugène de Savoie et des ducs de Savoie et transféré à Turin au XVIIIe siècle, notre tableau est apporté en France en 1800 et n’a jamais quitté la demeure familiale des héritiers du général Pierre-Antoine Dupont de l’Étang jusqu’à aujourd’hui.


Notre tableau illustre la tension féconde entre les deux grands courants du Seicento italien : naturalisme caravagesque et idéal classique. Au même titre que la version du Louvre, notre toile peut être considérée comme un chef d’œuvre de la peinture italienne, un jalon essentiel dans la naissance du classicisme et du baroque.


Une image célèbre


Avec cette œuvre, Guido Reni rebat les cartes de la scène picturale romaine, vers 1605-1606. Le maniérisme tardif des élèves de Girolamo Muziano et du cavalier d’Arpin est alors encore la norme, même si deux courants réalistes s’imposent alors comme l’avant-garde. Les bolonais Annibale et Agostino Carrache viennent de décorer à fresque la voûte du palais Farnèse, réinventant l’iconographie des sujets mythologiques dans un sens lumineux et équilibré, inspirée par divers grands exemples de la Renaissance. Caravage a quant à lui peint les tableaux de la chapelle Contarelli entre 1599 et 1602, et achève entre 1601 et 1604 les deux grands formats de la chapelle Cesari à Santa Maria del Popolo. A trois reprises, il traite ce sujet du David avec la tête de Goliath, et à la date de celui peint par Guido Reni, Caravage réalise la version conservée à la Galerie Borghèse, dans laquelle il se représente dans la tête coupée du philistin.


Le David marque une étape clé dans l’évolution stylistique de Guido Reni. Il appartient à la très brève phase stylistique où il assimile les nouveautés des œuvres du Caravage, et dont témoignent La Crucifixion de saint Pierre (Rome, pinacothèque vaticane, 1604-1605) et les Apôtres Pierre et Paul (Milan, pinacothèque de Brera, 1605-1606). Par ses traits délicats et son élégance presque androgyne, il est représenté dans une posture recueillie, loin de tout triomphalisme. C’est l’une des premières fois que le héros biblique est montré au repos, en grandeur naturelle, et non au combat1, contemplant la tête de sa victime. Le contraste entre son regard pensif et la tête ensanglantée de Goliath souligne l’ambiguïté du héros, oscillant entre douceur et violence. L’artiste s’est inspiré pour l’attitude de l’adolescent de plusieurs sculptures antiques (fig. 2)2 et de gravures de la Renaissance et aurait fait poser le « cavalier Bellini »3. Si l’on en croit les écrits de Malvasia, il aurait pris pour modèle le visage singulier de l’épicier Righettone Speziale pour représenter la tête de Goliath.


C’est une démarche véritablement caravagesque que d’aller chercher ses modèles dans son entourage ou dans la rue. L’influence de ce courant transparaît dans le réalisme cru de la tête coupée, l’attention portée à la matière, et le clair-obscur dramatique qui détache la figure du fond sombre et l’absence de paysage ou de ciel. L’élégant béret de feutre rouge à plume appartient aussi au répertoire des scènes de genre caravagesque4. Toutefois, Reni se distingue de Caravage par une volonté d’idéalisme et d’harmonie. Là où le peintre lombard privilégie l’intensité dramatique, le caractère sombre et introspectif, les figures populaires et une lumière contrastée, Reni cherche une beauté apollinienne, une composition équilibrée et une lumière diffuse qui caresse les formes.



Queste perfette idee, che vogliono mi siano  rivelate da una sognata visione beatifica, non le palasano a chi che sia, e non le scuoprono ad ogn’ altro le belle teste delle statue antiche, studiandovi sopra, come per otto anni continui ho fatto io, per ogni veduta, fortificandomi nella loro stupenda armonia, ch’è quella sola, che fa questi miracoli ?


« D'aucuns disent que l'idea perfetta me fut révélée au cours d'une vision. Mais comment se fait-il que de telles visions ne viennent qu'à ceux qui étudient les belles figures des statues antiques, comme je l'ai fait pendant huit années consécutives sous tous les angles, fortifiant ainsi mon âme dans leur incroyable harmonie, ce qui est la seule manière pour que s'opèrent de tels miracles ? »


Par cette formule confiée à Malvasia après son retour à Bologne, Guido Reni se proclame héritier de la beauté idéale définie par l’Antiquité gréco-romaine et renouvelée par la Renaissance5. Cette filiation classique avec Michel-Ange et Raphaël se manifeste dans le traitement résolument sculptural de la figure, dont la pose est juste rompue par le croisement des jambes, le pied gauche sur sa pointe, comme l’esquisse d’un pas de danse. Le classicisme bolonais s’inscrit dans le sillage des principes énoncés par l’Académie des Carrache à la fin du XVIe siècle afin d'ennoblir les sujets religieux ou historiques par une retenue formelle et une élévation morale, mais n’oubliant jamais un contact avec le réel.


Très vite, le David et Goliath devient célèbre et fait l’objet de commentaires : le poète Giambattista Marino lui dédie par exemple un passage de sa Galleria en 1619. L’œuvre inspire d’autres artistes, qu’ils soient d’obédience caravagesque ou classicisante. Parmi eux, citons la composition d’Artemisia Gentileschi datée du début des années 1610 (en dépôt au Musée des Beaux-Arts d’Anvers, fig. 3)6 ainsi que les œuvres de Valentin de Boulogne (Madrid, museo Thyssen-Bornemisza), Giovanni Antonio Galli dit le Spadarino vers 1640-1650 (Bergame, Accademia Carrara) ou encore le tableau anonyme de la collection Motais de Narbonne7. La plupart d’entre eux amplifient le contraste lumineux et empruntent des motifs à la composition d’origine de Reni. Citons également les David d’Elisabetta Sirani (collection particulière), de Giovanni Battista Caracciolo (Galerie Borghese) et de Niccolò Tornioli (collection particulière)8.

La fortune du David s’est prolongée jusqu’au XVIIIe siècle9. Citons par exemple l’interprétation qu’en a donnée Jean-Jacques Lagrenée (Caen, musée des Beaux-Arts) en 1781.


 

Les différentes versions


Si notre composition et celle du Louvre sont presque identiques, elles diffèrent par quelques détails ponctuels. Dans la version du Louvre10, l’extrémité de la lanière de la fronde se détache sur la cuisse du héros. Dans la nôtre, elle se perd derrière lui. La hampe de la fronde en forme de V est posée sur le pagne bleu sur le tableau parisien tandis que dans notre tableau, elle présente un mouvement en « U » et passe sur la cuisse, preuve d’une réinterprétation très subtile. La trainée de sang sous la tête de Goliath est elle aussi différente. Séparée en deux épanchements dans le tableau parisien, l’un assez court sur la paroi du support et l’autre sous la barbe, on ne distingue qu’une seule coulée verticale en deux grosses gouttes sur le nôtre.


La chevelure du géant est plus abondante et sa barbe plus fournie dans le tableau du Louvre. Les éclats de sang au niveau de l’impact du projectile sur le front diffèrent et l’on note de petits changements dans le placement des mèches de la coiffure de David, laquelle a sur notre toile plus de volume et un accroche-cœur. De minuscules variantes concernent tant le positionnement des taches de la fourrure que la façon dont l’extrémité de celle-ci tombe sur le pagne bleu. Les plumes, le béret, la position des pieds, l’épée et la partie droite avec la colonne et son drapé sont similaires. Signalons que la pierre au sol est coupée par le bord inférieur dans le tableau du Louvre mais est entièrement visible dans notre version. Ce détail narratif est essentiel puisqu’il s’agit du projectile qui a tué le philistin. On discerne des brins d’herbe à la base de la colonne qui sont absents de la version du Louvre. De même, les quillons de l’épée sont entièrement visibles alors qu’ils sont coupés dans l’exemplaire du Louvre. Le nettoyage des vernis jaunis anciens révèlera un coloris plus vif : le pagne retrouvera une teinte violine différente du bleu azurite du manteau posé sur la colonne, alors que ces deux éléments sont d’une tonalité identique sur le David du Louvre.


La comparaison visuelle des deux œuvres et les radiographies et infra-rouges laissent penser que les deux toiles, qui présentent le même tissage à chevrons, ont peut-être été exécutées simultanément ou à une date proche. Elles diffèrent par quelques détails ponctuels qui illustrent la liberté que s’accorde l’artiste dans la réalisation de plusieurs versions autographes. Preuve du raffinement de l’exécution de notre version, on remarque que l’artiste a utilisé du bleu de lapis-lazuli, matière très onéreuse à l’époque, dans la partie droite du pagne, de part et d’autre de la fourrure.


La réapparition de notre œuvre survient dans le sillage de deux expositions récentes qui ont redéfini le statut des répliques autographes et les pratiques de l’atelier du maître : au Städel Museum de Francfort et au musée du Prado à Madrid en 2022-2023, puis au musée des Beaux-Arts d’Orléans en 2024. La critique admet aujourd’hui comme entièrement autographes les deux versions de l’Atalante et Hippomène (Naples, Museo nazionale di Capodimonte et Madrid, Museo del Prado) alors qu’auparavant on considérait que le caractère autographe de l’un n’était possible qu’au détriment de l’autre. Il en est de même pour les répliques du Saint Sébastien de trois-quarts, du Saint Luc ou de L’Enlèvement d’Europe pour lesquelles sont acceptés plusieurs originaux. 


Corentin Dury, dans le catalogue de l’exposition du musée d’Orléans paru en 2024, classe les différentes versions du David et variantes en typologie. Aussi, la composition du Louvre détermine la typologie dite « Créquy », du nom de l’ancien propriétaire du tableau au XVIIe siècle, à laquelle appartient aussi notre toile11. D’autres tableaux s’inscrivent dans cette typologie. Ainsi, une copie se trouvant autrefois dans la collection Liechtenstein à Vienne constitue une reprise de notre tableau et non de celui du Louvre comme cela était admis jusqu’à présent12. Par ailleurs, une réplique de notre composition, vendue par Sotheby’s à Londres en 1985, puis en 201213, comme une œuvre originale de la main de Reni, a été depuis rendue à un collaborateur du maître, peut-être Simone Cantarini (fig. 4). La provenance Dupont de l’Etang avait alors été donnée à tort et le tableau n’a pas d’historique plus ancien que sa découverte dans un château en Écosse14 où il était depuis les années 1900.


La typologie dite « La Vrillière » tire son nom du collectionneur qui détenait une autre version du David de Reni aujourd’hui au musée des Beaux-Arts d’Orléans (fig. 5)15. La variante la plus significative de cette typologie dite « La Vrillière » concerne la position de la tête coupée tournée vers l’intérieur et non plus vers l’extérieur. On remarque que la partie inférieure (herbe, garde de l’épée) est en outre travaillée avec davantage de précision, tandis qu’une fissure est ajoutée à la colonne. Cette composition a donné lieu à plusieurs copies d’atelier conservées à Florence (Galerie des Offices, inv. 1890 n° 3830), Dresde (Gemäldegalerie Alte Meister, n° 332) et Osnabrück (Kulturgeschichtliches Museum, inv. JMO 1603).

Les détails évoqués ci-dessus sont exacerbés dans la toile plus tardive de Dresde, attribuée à Giovanni Francesco Gessi, où la végétation a grandi, les fissures se sont creusées et les coulures de sang sont plus abondantes. Constatons par ailleurs que la gravure de Giacomo Piccino (fig. 6) n’est fidèle dans les détails à aucune de ces versions, sans que l’on puisse déterminer s’il s’agit d’une interprétation du graveur ou du témoignage d’un original perdu16

Enfin, l’exposition d’Orléans nomme typologie « Volponi » une composition différente dont témoignent les tableaux d’Urbino (Galleria Nazionale delle Marche) et de Sarasota (John and Mable Ringling Museum of Art)17

Malheureusement, seul un dessin préparatoire représentant David et Goliath, aujourd’hui conservé à Preston, Harris Museum & Art Gallery, nous est connu à ce jour (fig. 7). S’il constitue une première pensée, il ne permet pas de déterminer quelle version constitue la première formule imaginée par Reni.



David, un héros libérateur


Dans les trois religions du Livre, le roi David est considéré comme l’idéal du monarque pieux et juste, un jeune berger de la tribu de Juda devenu roi musicien et poète, représentant le triomphe de l’intelligence sur la force brute. Il porte sur lui les peaux des bêtes sauvages, un lion et un ours, qu’il avait tuées lorsqu’il gardait les moutons dans sa jeunesse. Le judaïsme célèbre le héros libérateur du peuple juif grâce à sa victoire contre Goliath. Pour les princes et les souverains chrétiens, il préfigure la venue du Christ sur terre. Mentionné à plusieurs reprises dans le Coran, l’islam considère Daoud comme un prophète majeur et un roi exemplaire.


La République florentine en avait fait son emblème, incarné par la sculpture de Michel-Ange devant le Palazzo Vecchio, au côté de la Judith décapitant Holopherne de Donatello. Héros libérateurs de leur peuple, David et Judith sont souvent réunis en pendants.

Certains ont émis l’hypothèse que le tableau du Louvre était mis en paire, chez son premier propriétaire Ottavio Costa, avec une Judith, elle aussi de Guido Reni, perdue et connue par une gravure.


Au XVIIe siècle, la Contre-Réforme s’approprie le récit biblique et la grandeur morale conférée à David pour en faire le porte-étendard de l’Eglise combattante et triomphante lui assignant une mission politique et religieuse. A travers la lutte du roi biblique contre le géant philistin, la propagande visuelle de la Contre-Réforme met en parallèle les conflits théologiques et politiques contemporains : le roi David incarne dès lors le triomphe de la foi catholique sur le protestantisme.



Les propriétaires successifs


Le premier propriétaire de ce tableau, Francesco Ier d’Este (1610-1658), est l’un des plus importants mécènes de son temps, protégeant artistes et écrivains. Il reconstitue la collection ducale des Este, aliénée par les Borghèse à Ferrare au moment de sa naissance, et l’enrichit de tableaux de la Renaissance, dont la plupart sont émiliens18, et par la commande d'œuvres contemporaines19. On se souvient de ses deux effigies encore conservées à la galerie de Modène : son portrait par Velásquez (fig. 8) et celui en buste en marbre du Bernin (fig. 9). Un de ses « rabatteurs » d’œuvres d’art, Cornelio Malvasia (1603-1664) négocie directement auprès de l’artiste l’achat du David20. Celui-ci est sénateur de Bologne, général dans l’armée pontificale, conseiller militaire d’Alphonse IV d’Este puis maréchal des troupes françaises en Italie. Reni demande 300 ducats d’argent, une somme considérable à l’époque et le cède finalement pour 275 ducats en janvier 163321. Cornelio est le cousin du plus célèbre Carlo Cesare Malvasia (1616-1693), homme de plume et historien de l’art italien qui a écrit une vie de Guido Reni, artiste qu’il place à l’apogée de la peinture bolonaise. Tous deux ont bien connu l’artiste et le premier a pu donner certaines informations sur la jeunesse de Reni au second pour sa biographie.


La collection de Francesco Ier est en grande partie dispersée dans la première moitié du XVIIIe siècle. Cent chefs-d’œuvre de la galerie du palais ducal, aujourd’hui conservés à Dresde, sont vendus par François III d’Este en 1746 à Auguste III de Saxe. Le David de Guido Reni avait déjà quitté Modène depuis plus de quarante ans, puisqu’il avait été mis à l’abri au château de Novellara, une des dépendances de la famille d’Este, où il est signalé dans un inventaire du début du XVIIIe siècle22.


Bien que né à Paris, le prince Eugène de Savoie-Carignan (1663-1736, fig. 10) s’est illustré pour le compte des Habsbourg d’Autriche dans les grandes batailles de son époque, notamment contre les Turcs. Célèbre dans toute l'Europe pour ses succès militaires et diplomatiques, il est aussi un grand mécène des arts, et plus particulièrement dans le domaine de l’architecture. En 1697, il fait appel à Johann Fisher von Erlach pour la construction de son palais d’hiver viennois et sollicite von Hilderbrandt de 1714 à 1723 pour l’édification des deux palais du Belvédère (fig. 11) où il place un exceptionnel ensemble de peintures. Si l’on en retient aujourd’hui le remarquable fonds de tableaux flamands et hollandais de la Galleria Sabauda à Turin, composé d’œuvres de Van Dyck et de Brueghel, elle comportait aussi des œuvres majeures italiennes et françaises, dont plusieurs Guido Reni. Notre tableau est inscrit dans l’inventaire du palais du Belvédère viennois de 1736 et figure sur la droite de la gravure de Salomon Kleiner en 1734 représentant le grand salon du Belvédère supérieur (fig. 12). L’accrochage le montre en compagnie de tableaux vénitiens et bolonais dont l’Adam et Eve de Reni (musée des beaux-Arts de Dijon).


L’exceptionnel ensemble d’Eugène de Savoie-Carignan est acheté par son cousin Charles-Emmanuel III (1701-1773) puis rapatrié à Turin, s’ajoutant ainsi aux collections dont il avait hérité. Dans la capitale piémontaise, il est vu et décrit par Cochin et Lalande. Lors de l’occupation du Royaume de Piémont-Sardaigne, plusieurs œuvres de la collection alors conservées au palais royal de Turin sont transférées à Paris23 : la plus célèbre d’entre elles étant La Femme hydropique de Gérard Dou, donnée par le général Bertrand Clauzel au Museum central (actuel musée du Louvre) récemment ouvert.


Le général Pierre-Antoine, comte Dupont de l’Etang (1765-1840, fig.13), est lui aussi un grand militaire. Il s’engage dans l’armée révolutionnaire et mène une carrière brillante marquée par les succès de la deuxième campagne d’Italie, dont la bataille de Marengo. Le 23 juin 1800, il reçoit le titre de ministre extraordinaire du gouvernement français en Piémont. Le 15 août suivant, il est remplacé par le général Jean-Baptiste Jourdan et part combattre en Toscane. Il entre à Florence où il établit un gouvernement provisoire. La ville reconnaissante lui offre deux grands vases d’albâtre encore conservés dans la famille. Sous l’Empire, il dirige au sein de la Grande Armée et se bat en Europe de l’Est. Il reçoit le titre de grand aigle de la Légion d’honneur le 11 juillet 1807, année où il achète l’hôtel de Beauvau (fig. 14) qu’il n’occupe qu’à partir de 1815. Par décret impérial, il reçoit le titre de comte au début de 1808, puis il part suivre la campagne d’Espagne, où il est battu à Bailén en juillet. En 1814, il est nommé avec un rang de ministre pendant la première Restauration. Il est élu député en 1815 et le restera jusqu’en 1830. Notre tableau est resté dans la descendance de sa fille en ligne directe jusqu’à aujourd’hui.


Les experts et les connaisseurs du XVIIIe siècle


Si l’historien Carlo Cesare Malvasia ne cite pas le David dans son histoire de la peinture bolonaise, mentionnant les œuvres qu’il connaissait de visu, d’autres célèbres experts ont commenté notre tableau après l’avoir vu à Vienne ou à Turin.


Héritier d'une dynastie de graveurs et éditeurs d'estampes, Pierre-Jean Mariette (1694- 1774) est l’un des plus grands experts du XVIIIe siècle. L’une de ses premières tâches fut d’inventorier le fonds de gravures de la collection d’Eugène de Savoie, sur place, à Vienne en 1717-1718. Devenu conseiller artistique du prince, il a peut-être recommandé l’achat de notre toile24. Dans son dictionnaire des artistes, son Abecedario, rédigé quelques décennies plus tard, il indique qu’il en existe deux versions autographes, une à Paris et l’autre à Vienne25.


Dans les récits de leurs voyages en Italie, lorsqu’ils décrivent les collections turinoises, deux « connaisseurs » français le remarquent. Charles-Nicolas Cochin (op. cit. en bibliographie) le décrit simplement comme « Un David du Guide, fort beau ». Savant, féru d’astronomie, Joseph Jérôme Le Français de Lalande le signale de son voyage du Grand Tour, Voyage d'un François en Italie, fait dans les années 1765 & 1766, et publié trois ans plus tard : « Un David du Guide, semblable à celui que possède le roi de France. Il faudroit les comparer ensemble pour juger lequel est le plus beau ».



Nous remercions le professeur Daniele Benati d’avoir confirmé l’attribution de cette toile à Guido Reni, sur photographie numérique, dans un courriel du 23 avril 2025.


Ce lot est vendu en collaboration avec la maison de vente Millon.


Ce lot est muni de son certificat de bien culturel en date du 15 juillet 2025.


1.   Citons, par exemple, le tableau d’Orazio Gentileschi de la National Gallery of Ireland à Dublin, vers 1605-1607. Son célèbre David contemplant la tête de Goliath de la galerie Spada à Rome est plus tardif, vers 1615-1620.


2.   Sous la direction de Corentin Dury, Dans l’atelier de Guido Reni, cat. exp., Orléans, Musée des Beaux-Arts d’Orléans, 2024-2025, p. 151-157. Signalons par exemple, le Faune debout d’après Praxitèle, que Reni aurait vu chez Mattei, ou encore le Faune Borghese jouant de la flûte, largement repris en statuaire et caractérisé par ses jambes croisées.


3.   Ibid., p 156 et Lorenzo Pericolo, Felsina Pittrice: Volume IX: Life of Guido Reni Carlo Cesare Malvasia, Londres, Turnhout, 2019, p. 407, n° 573.


4.   Les élèves de Caravage reprennent les chapeaux des deux versions de la Diseuse de bonne aventure. Pour une analyse de cette question pour le tableau du Louvre, voir le catalogue de l’exposition Corps et ombres : Caravage et le caravagisme en Europe, notice par Michel Hilaire, Montpellier, musée Fabre ; Toulouse, musée des Augustins, du 23 juin au 14 octobre 2012 ; Los Angeles, County Museum of Art, du 11 novembre 2012 au 10 février 2013 ; Hartford, Wadsworth Atheneum Museum, du 8 mars au 16 juin 2013, p. 296-298.


5.   Carlo Cesare Malvasia, Felsina pittrice vite de' pittori bolognesi, Bologne, 1841, parte quarta, p. 22.


6.   Patrizia Cavazzini, Maria Cristina Terzaghi et Pierre Curie, Artemisia. Héroïne de l'art, cat. exp., Paris, musée Jacquemart-André, 2025, p. 118-121.


7.   Nous renvoyons au catalogue de l’exposition De Vouet à Boucher. Au cœur de la collection Motais de Narbonne. Peintures françaises et italiennes des XVIIe et XVIIIe siècles, sous la direction de Viviane Mesqui, Orléans, musée des beaux-Arts du 15 septembre au 13 janvier 2018, Toulouse, Fondation Bemberg, du 22 février au 2 juin 2019.


8.   Dans l’atelier de Guido Reni, cat. exp., 2024-2025, op. cit, p. 185, cat. 60.


9.   Ibid., p. 183-187. Voir également le catalogue d’exposition Guido Reni e l'Europa. Fama e fortuna, sous la direction d’Erich Schleier, Francfort, 1 décembre 1988-26 février 1989.


10. Pour une synthèse sur le tableau du Louvre et la liste des copies, voir Stéphane Loire, Musée du Louvre. Département des peintures, Ecole italienne. XVIIe siècle. I. Bologne, Paris, 1996, p. 267-272.


11. Dans l’atelier de Guido Reni, cat. exp., 2024-2025, op. cit., p. 159-163.


12. Ibid., p. 162.


13. Vente anonyme ; Londres, Sotheby’s, 4 juillet 2012, n°32.


14. Ibid., p. 159-161.


15. Ibid., p. 165-173.


16. Ibid., p. 162-163.


17. Ibid., p. 175-177.


18. Corrège, Parmesan, Andrea del Sarto, Titien, Véronèse, l’Albane, Guerchin, Salvator Rosa, Holbein …


19. Giusto Sustermans, Jan van Gelder, Pierre Mignard, Jean Boulanger …


20. Cf. la lettre du 20 janvier de Cornelio Malvasia au Duc, Arch. sudd. Lettera di Cornelio Malvasia al Duca Francesco I. Bologna, 20 Gennaio 1663, in Adolfo Venturi, La R. Galleria Estense in Modena, Modène, 1882, p. 186-187 : le tableau est mentionné dans une lettre du 20 janvier 1633 de Cornelio Malvasia à Francesco I d'Este, duc de Modène, indiquant que le David était toujours en vente (sous-entendu chez Reni) mais au prix élevé de 300 ducats ; sa valeur a augmenté de 100 ducats, soit un tiers de son prix demandé, entre la requête pour l’acquérir du cardinal Bernardino Spada - à l’origine de la collection du palais Spada à Rome - un an et demi plus tôt et celle de Malvasia. Celui-ci indique aussi qu’une copie du tableau venait d'être commandée par le cardinal après son refus de payer le prix de l’original.


21. Le prix élevé est celui que l’artiste demande pour des œuvres entièrement de sa main, sans participation de l’atelier. C’est la même somme que Finson et Vinck exigent du duc de Mantoue pour Judith et Holopherne de Caravage en 1607, et 400 ducats pour la Vierge du Rosaire en 1607. Le duc achètera finalement la Mort de la Vierge de Caravage pour 280 ducats.


22. Marchese Giuseppe Campori, Raccolta di cataloghi ed inventarii inediti di quadri, statue, disegni, bronzi, dorerie, smalti, medaglie, avorii, ecc., dal secolo XV al secolo XIX, Modène, 1870, p. 643 : « Un David, alto br. 3., largo 2. On. 6., di Guido Reni. », ce qui correspond aux dimensions de notre toile (fig.12).


23. Nicole Gotteri, « Enlèvements et restitutions des tableaux de la galerie des rois de Sardaigne (1798-1816) », dans Bibliothèque de l'école des chartes, 1995, tome 153, n° 2, p. 459-481. Concernant le David de Guido Reni, voir p. 471-473.


24. Dans l’atelier de Guido Reni, cat. exp., 2024-2025, op. cit., p. 162 ; la lettre de la transaction de 1719 ne mentionne pas clairement le sujet du tableau de Reni conseillé par Mariette au prince Eugène.


25. Charles Philippe de Chennevières-Pointel, Anatole de Montaiglon, Abecedario de J. P. Mariette et autres notes inédites de cet amateur sur les arts et les artistes, Paris, 1853-1860, p. 361 : « Le jeune David debout, ayant le bras gauche appuyé sur un fust de colonne et soutenant de l'autre la teste de Goliath sur un piedestal ; gravé au burin par J. Piccino, - D'après le tableau qui étoit resté à Bologne, le Guide en ayant peint deux ; celuy-cy est présentement à Vienne, chez le prince Eugène de Savoie. - Une autre estampe en plus grand, gravée au burin par G Rousselet. - d'après le tableau qui est en France et qui appartenoit au duc de Liancourt ; il est présentement au roy, - et est sur la cheminée d'une des chambres du palais du Luxembourg. - On l'a transporté à Versailles en 1743 ».

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