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Victor BRAUNER (1903-1966)
Oiseaux que nous lapidons…
Estimation :
35 000 - 45 000 €
Vendu :
75 600 €

Description complète

Oiseaux que nous lapidons…
Aquarelle sur papier

Exceptionnel manuscrit de René Char enluminé par son ami Victor Brauner.

Dessin sur parchemin à l'aquarelle, gouache et mine de plomb ; manuscrit à l'encre noire. 42,3 x 29,8 cm. Le dessin et le poème sont signés de leurs auteurs respectifs. Encadré.

"Oiseaux que nous lapidons au pur
moment de votre véhémence, où tombez-vous ?
Emerge autant que possible à ta
propre surface. Que le risque soit ta clarté.
Comme un vieux rire. Dans une entière
modestie.
Pleurer longtemps solitaire mène
à quelque chose.
Ne crains pas que je t'ajoute
Aux dons qui t'ont précédée.
René Char"

Les vers sont ponctués d'insectes mystérieux et joyeux, masques et fleurs aquarellés par Victor Brauner ; l'artiste a encadré la page d'une frise de dents de scie, dont la partie inférieure est plantée de fleurs en tige. Sous cet encadrement, très belle dédicace de Victor Brauner à son ami, en bas à droite, avec le signe " ? " qu'il utilise souvent comme signature à partir de 1945 :

A MON TRES CHER RENE CHAR
POËTE-HOMME INTEGRAL
SON AMI ? VICTOR BRAUNER. IV.1950

La rencontre de René Char et de Victor Brauner remonte à 1931-1932, quand l'artiste d'origine roumaine adhère au groupe surréaliste durant son second séjour à Paris (1930-1934), au moment même où René Char s'en éloigne. Ensemble, ils collaborèrent notamment au fascicule que les surréalistes publièrent en faveur de la parricide Violette Nozière (1933). Pendant l'Occupation, n'ayant pas pu quitter la France pour rejoindre l'Amérique, Brauner se réfugia dans les Alpes de Haute-Provence où se trouvait René Char, engagé dans la Résistance. En René Char, Victor Brauner avait à la fois un appui financier, un réconfort amical et un soutien dans ses recherches picturales. " J'ai le privilège d'être de ceux qui ont vu s'annoncer, se former puis grandir, atteindre l'un après l'autre - sans les torturer - les objectifs capitaux de la peinture de notre temps, l'œuvre de Victor Brauner ", écrira le poète (" Victor Brauner ", 1952, in Pléiade, p. 683).
Les marques d'estime entre les deux hommes sont nombreuses. Char dédicace un poème à l'artiste (" Visage de semence ", 1938) et lui consacre un texte repris dans Recherche de la base et du sommet. De son côté, Brauner, très influencé par l'œuvre du poète, notamment par Seuls demeurent (1941), prit pour titre de ses créations plusieurs de ses vers. Par ailleurs, les portraits que Brauner réalise de son ami, notamment entre octobre 1945 et avril 1950, scellent d'une autre manière leur amitié.

Les manuscrits enluminés de René Char. " Le poème est toujours marié à quelqu'un ", écrit René Char. Antoine Coron a montré comment le poète s'est inscrit dans une tradition séculaire qui, à l'instar des manuscrits de René d'Anjou ou de Jean Fouquet, associe l'artiste et le poète par le sacrement du manuscrit enluminé (Coron, cat. Bnf 1980, p. VII). Si l'époque était aux grands " livres de peintres " de Tériade, avec notamment le Jazz de Matisse (1947) et Le chant des morts de Reverdy et Picasso (1948), René Char sembla privilégier une production plus artisanale, plus personnelle aussi. Peut-être marqué par les chefs-d'œuvre de l'enluminure médiévale reproduits par Tériade dans un album de Verve à la même époque, René Char sollicita dès la fin des années quarante les artistes soutenus par la galerie des Cahiers d'art d'Yvonne Zervos, pour qu'ils enluminent plusieurs de ses manuscrits, comme jadis les enlumineurs médiévaux ceux des copistes. C'est le poète qui est à l'initiative des opérations, fixant le format, choisissant non seulement les textes qu'il retranscrit (Coron, cat. Bnf 2007, p. 218) mais aussi le support : le parchemin, que parfois il préfère au papier. C'est le cas pour le présent manuscrit, ce qui le rapproche davantage de l'enluminure, " cette peinture des siècles sans peintures ", selon la belle formule d'André Malraux, mais aussi, pourrions-nous ajouter, des siècles sans papier. Enumérer le nom des peintres mis à contribution, qu'il appelait ses " alliés substantiels ", reviendrait à citer le Panthéon de l'art du XXe siècle : Joan Miró, Alberto Giacometti, Wifredo Lam, Max Ernst, Jean Arp, Joseph Sima, Jean Hélion, Vieira da Silva, Henri Laurens, Georges Braque, Zao Wou-ki, Pablo Picasso, etc.

Les enluminures mystiques de Victor Brauner. Outres des affinités dans leurs goûts littéraires - ils admirent Rimbaud, Lautréamont, les romantiques allemands, notamment Novalis -, Char et Brauner se passionnent aussi pour l'hermétisme et l'alchimie, dont leurs œuvres sont empreints : " Tous deux côtoient ainsi les origines magiques de l'art, de la pensée sauvage et de l'"homme granité reclus et recouché de Lascaux" qui savait révéler les "choses cachées". La symbiose de l'humain avec le monde animal et végétal est familière à l'iconographie picturale de Brauner et de l'univers poétique de Char " (Marina Vanci-Perahim, in Victor Brauner, écrits et correspondances, pp. 162-163). Cette vision mystique du monde, Brauner la retranscrit dans un dessin qui évoque tout à la fois l'art populaire roumain, l'art byzantin et l'art tribal : les insectes qui se mangent l'un l'autre, les visages représentés tels des masques tribaux qui dialoguent autour des vers de Char dans une guirlande énigmatique, les fleurs naïves qui ponctuent la frise.
Par ce syncrétisme " d'un code universel des signes à travers toutes les cultures extra-européennes " (Alain Jouffroy, Victor Brauner, ou le premier dépassement du surréalisme, catalogue Didier Imbert Fine Art, p. 25), Brauner exprime cette mythologie personnelle qui devait aussi correspondre à la vision du monde de Char. Car Victor Brauner défend une illustration très personnelle des livres : " Le dessin dans un livre ", écrit-il à Gellu Naum, " doit être un signe, comme la signature secrète de celui qui écrit le livre. C'est-à-dire que le dessin est un graffiti qui représente le poëte se développant dans son livre " (cité dans Ecrits et correspondances, p. 163, n. 20).

S'il n'a pas participé à l'édition d'un livre illustré avec son ami, en revanche Victor Brauner a enluminé quelques rares manuscrits. C'est en 1950, année de l'exposition Brauner à la galerie des Cahiers d'art, chez Yvonne Zervos, que René Char calligraphie certains de ses vers sur une vingtaine de grandes feuilles de papier ou de parchemin pour que Brauner les enlumine. Ainsi, notre Oiseaux que nous lapidons date de la même période que la plupart des autres enluminures de Brauner : Le Viatique ou non (Bibliothèque nationale, ancienne collection Daniel Filipacchi), Quatre fascinants (Centre Pompidou), Le Carreau (Centre Pompidou), Le doux défunt, etc., même si on en connaît de plus tardifs, comme Dans la marche réalisé en 1963 (ancienne collection Jean Hugues).

Ces dernières années, des manuscrits enluminés de René Char furent la vedette de plusieurs événements bibliophiliques. Les manuscrits enluminés réalisés pour Yvonne Zervos furent, à sa mort, légués à René Char, qui continua à augmenter l'ensemble. Après les avoir prêtés à la Bibliothèque nationale en 1980 pour une exposition, René Char les vendit presque tous, à l'exception de ceux enluminés par Matisse ou Staël, en 1985 à Daniel Filipacchi, qui les présenta en vente dix ans après (catalogue Loudmer, décembre 1998, lots 153 à 180). Suite à un accord avec le collectionneur, l'Etat acquit (9,6 millions de francs) la majorité de cet ensemble pour la Bibliothèque nationale, qui leur consacra une plus vaste exposition en 2007, à l'occasion du centenaire du poète.

Provenance:
Bibliothèque de René Char, 1950.
Vente Drouot, Me Renaud, 20 juin 1990.
Collection Pierre et Franca Belfond.

Expositions :
- Exposition René Char. Paris, Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris/Fondation Maeght, 1971, cat. n° 585.
- Victor Brauner. Paris, Didier Imbert Fine Art, 26 octobre-21 décembre 1990, cat. n° 22. Introduction d'Alain Jouffroy.

Bibliographie :
- René Char, Le monde de l'art n'est pas le monde du pardon. Paris, Editions Maeght, 1974, repr. p. 58.
- René Char : manuscrits enluminés par des peintres du XXe siècle. Bibliothèque nationale, 1980. Préface et descriptifs d'Antoine Coron.
- René Char et ses alliés substantiels, artistes du XXe siècle. L'Isle-sur-Sorgue, Association Campredon Art et Culture/Maison René Char, 2003.
- René Char. Catalogue sous la direction d'Antoine Coron. Bibliothèque nationale/Gallimard, 2007.
- Victor Brauner, écrits et correspondances, 1938-1948. Les archives de Victor Brauner au Musée national d'art moderne. Centre Pompidou/INHA, 2005 ; voir p. 162-187.

WATERCOLOUR ON PAPER; POEM SIGNED BY RENE CHAR; SIGNED, DATED AND DEDICATED BY VICTOR BRAUNER LOWER RIGHT.

Provenance :

Bibliothèque de René Char, 1950.
Vente Drouot, Me Renaud, 20 juin 1990.
Collection Pierre et Franca Belfond.

Expositions :

Paris, Galerie Didier Imbert, "Victor Brauner", 26 octobre-21 décembre 1990, n° 22

Bibliographie :

René Char, "Le monde de l'art n'est pas le monde du pardon", Paris, 1974, reproduit p. 58

Commentaire :
Un certificat de Monsieur Samy Kinge sera remis à l'acquéreur

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